Un mercredi pas comme les autres...
C'était le premier mercredi après la rentrée.
Un jour comme je les aime, une journée en amoureux avec Loulou.
Le mercredi, c'est le jour où Loulou se lève à l'aube alors qu'il faut que je le tire du lit le reste de la semaine... Pas fou, il sait que c'est une journée à nous, qu'on va jouer, qu'on va se câliner, qu'on va regarder des dessins animés.
Une journée pyjama, une journée tendresse.
C'est vers 11h20 je crois que mon téléphone a vibré pour la première fois... je ne sais plus trop à vrai dire.
A ce moment là, je venais de préparer le repas, Loulou est long à manger et je veux pouvoir le coucher tôt pour une bonne sieste, tous les deux.
J'ai jeté un coup d'oeil sur l'alerte info qui avait secoué mon téléphone, mais j'ai juste consulté les premiers mots...
Il était question de bruits de fusillade à Charlie Hebdo...
J'ai réprimé un soupir d'agacement... On était probablement encore en train de sacager leurs locaux, comme cette autre fois où un cocktail molotov avait tout détruit, les obligeant à déménager à défaut de les faire taire...
Tout au plus me suis-je dit que les gens étaient vraiment cons de sacager, et j'ai coupé mon portable, je l'ai posé, et je me suis recentrée sur ce qui me tenait à coeur, le repas en amoureux avec Loulou...
Après ce repas, est venue l'heure de la sieste...
Portable coupé, Loulou dans mes bras, un gros câlin... Un moment de douceur hors du temps, protégés du monde par une couverture polaire bleue,...
Puis vint le moment de se lever, ce jour là, pas moyen de faire dormir ma petite crapule !
Je me lève et vais machinalement consulter un réseau social bien connu...
Tout de suite je n'ai pas compris... Il était question de Cabu sauvagement assassiné...
Alors je suis retournée voir les infos, et là...
Il y a d'abord eu l'Incompréhension... Cabu, on a tué Cabu.
Cette phrase a tourné dans ma tête pendant des heures. Comment a-t'on pu tuer Cabu ? Celui qui m'avait tant fait rire dans mon enfance. Cabu dans les yeux duquel on ne lisait que de la malice, un grand gamin...
Mais ce n'était pas le seul... d'autres noms venaient s'ajouter... je reconnaissais Wolinsky, Charb, Tignous, les autres je ne savais pas...
Tout était confus dans mon esprit, non pas qu'un valait plus que l'autre, mais Cabu était l'étincelle qui avait allumé une flamme de douleur en moi... Putain, ils ont tué cabu...
Après l'incompréhension, ce fut l'Horreur : Tuer pour quelques coups de crayons, qui pourrait faire ça ? Qui et au nom de Quoi ?
Aucune instance, et encore moins une instance divine ne saurait encourager le meurtre !
Puis vint la Colère et sa nausée, l'envie que ces salauds paient, qu'ils souffrent.
Elle est mauvaise conseillère la colère, et a bien vite été condamnée sur les réseaux sociaux, car non, bien évidemment, la violence ne doit pas répondre à la violence... mais elle était là, en moi, j'ai souhaité le pire à ceux qui avaient assassiné notre innocence, mais je savais aussi que ce qui me différenciait de ces brutes c'était que si je mettais des mots sur cette colère, ils auraient cet effet cathartique et que ma violence n'irait jamais au delà.
Vint ensuite la Peur. Le terrorisme était de retour sur notre territoire, et je savais qu'il allait falloir de nouveau regarder son visage sanglant en face. Avoir cette boule au ventre en prenant le métro. Calculer le meilleur moment pour aller dans les lieux publics. Bouleverser ce petit quotidien si confortable, cet embourgeoisement propre à notre vie dans un pays "civilisé", dans notre "démocratie"... La nausée encore... mais surtout, l'angoisse d'être séparé de ceux que l'on aime et la peur qu'ils soient au mauvais endroit, au mauvais moment...
Enfin, maintenant, 8 jours après cette horreur, il y a l'Impuissance.
Je n'ai jamais ni lu ni acheté Charlie Hebdo... J'ai honte de le dire, alors qu'hier il n'y avait rien de honteux à cela...
Je n'ai rien contre ce journal, mais je n'achète jamais la presse. Je lis beaucoup, mais des romans. L'information, je la cherche un peu partout, c'est facile, on en est abreuvés. J'essaie de faire la part des choses avec l'esprit critique que je pense avoir. Je ne suis dupe d'aucun politique, mais n'adhère à aucune théorie du complot...
J'ignorais que le journal était moribond, et si je l'avais su, je ne sais pas ce que j'en aurais pensé... Il est tellement facile aujourd'hui de dire qu'on se serait battu pour sa sauvegarde alors qu'en fait ça ne nous aurait fait ni chaud ni froid...
Aujourd'hui les survivants ont adressé un message fort en sortant un nouveau numéro, écrit du sang des morts et des larmes des survivants.
Avec à la fois cette provoc' qui aurait fait la fierté de ceux qui ont été fauchés par la haine, mais aussi leur pacifisme.
Aujourd'hui, pour la première fois de ma vie, je ressens avec tellement de force ce sentiment d'impuissance que tout ce que j'ai trouvé à faire c'est acheter Charlie Hebdo... Parce que je ne sais pas comment lutter autrement contre cette violence, et même si je sais que ça ne réparera rien et que ça ne ramènera personne à la vie...
Alors surtout, aujourd'hui, je sais que je lirai Charlie Hebdo, jusqu'à la dernière page, en pensant à Charb qui est mort debout, à Cabu qui souriait toujours, à Wolinsky dont la fille et la femme pleurent tellement, à cette jeune fliquette pleine d'espoir et qui avait la vie devant elle, à ce jeune juif si courageux, à cet agent d'entretien qui n'avait rien demandé, à ce brigadier qui est mort en voulant protéger un homme menacé par la connerie d'extrémistes, à cet économiste qu'on appelait "Oncle Bernard", pour Ahmed, froidement tué par ceux qu'il aurait pu prendre pour des frères mais qui n'étaient que des traitres, pour cette psy qui cherchait àsoulager le mal être, et à tous ceux qui ont péri sous les balles... pour qu'ils ne soient pas morts pour rien...
Et aujourd'hui enfin, j'écris ces mots, ces mots qui se bousculent dans ma tête depuis une semaine, ces mots qui sont un peu pour toi mon Loulou, parce que je te dois des excuses.
Je te demande pardon Loulou... pardon parce que je t'ai menti.
Mais tu vois, je t'ai menti parce que je ne savais pas.
Tous les soirs, à l'heure d'éteindre la lumière, quand tu me dis que tu as peur des monstres, je te répète "n'ai pas peur mon Loulou, les monstres ça n'existe pas"...
Mais si, Mon Loulou, les monstres existent, je l'ai compris ce mercredi 7 janvier 2015.
Les monstres se cachent sous des apparences humaines mais crient leur haine de leur prochain et font pleuvoir le sang et les larmes.
Ils assassinent ceux qui ne sont armés que de stylos et n'ont pour but que de dénoncer les travers de nos politiques ou la haine des autres.
Ils tuent des gamins cachés dans des corps d'hommes, des humanistes, des pacifistes.
Ils tuent notre insouciance en visant la Liberté.
Frédéric Boisseau
Franck Brinsolaro
Jean Cabut, dit Cabu
Elsa Cayat
Stéphane Charbonnier, dit Charb
Philippe Honoré, dit Honoré
Bernard Maris
Ahmed Merabet
Mustapha Ourrad
Michel Renaud
Bernard Verlhac, dit Tignous
Georges Wolinski
Clarissa Jean-Philippe
Philippe Braham
Yohan Cohen
Yoav Hattab
François-Michel Saada
Hier, ils ont tiré sur eux.
Hier, la France entière, le Monde entier, a voulu se lever pour les honorer et est descendu dans la rue pour dire Non à la haine, Non à la violence et Oui à la liberté d'expression.
Hier c'était beau...
Mais demain ?
Demain, le Monde aura oublié, le Monde continuera de tourner de travers, je le sais, mais, j'espère, un peu moins qu'avant.
C'est pour ça, Mon Loulou, que ce soir, au moment d'éteindre la lumière, je te redirai "N'ai pas peur Mon Loulou, les monstres ça n'existe pas".
Parce que tu es demain, parce que tu es celui a qui il appartient que cela ne se reproduise jamais.
Parce que tu portes en toi cette innoncence que nous avons perdu et cet amour que nous cherchons tant.
Parce que je, tu, nous sommes et serons toujours Charlie, je veux y croire...
#JeSuisCharlie