Sur papier journal...
On les cite en exemple...
Regarde-les : elles y pensent, elles, au moins... pas comme toi... Chaque année elles y vont, toi tu n'y mets jamais les pieds...
Peut-être...
Elles y pensaient nettement moins quand elles laissaient pourrir les souvenirs de leur vie, elles n'y pensaient pas tellement non plus, quand le soir de sa mort la veillée funèbre s'est transformée en soirée de rires, et encore moins quand, bien plus tard, elles se sont débarrassé de toutes ses affaires, meubles et maison comprise...
Mais oui, c'est vrai, tous les ans, à la même date, elles posent devant le journaliste local avec ce sourire si bien travaillé, celui qui dit "Regardez comme je suis bonne ! Regardez comme je contiens mes larmes d'émotion et comme j'honore sa mémoire"...
Elle achètent au supermarché la composition qui va orner sa "dernière demeure"... parfois, elles vont jusque chez le fleuriste, mais pas souvent en fait : c'est bien plus cher quand même...
Et puis elles sont là, elles prennent la pose, celle qu'on retrouvera dans les pages locales, celle qui montre aux gens du village comme elles sont de bonnes filles... Les apparences sont leur mode de vie, elles foulent le sol caillouteux pour donner l'illusion d'un chagrin qu'elles ne ressentent pas.
Il y a longtemps que je sais qu'il y a différentes sortes de peine... Il y a celle qu'on montre, celle qu'on sent en soi, et il y a celle qu'on sort une fois par an, juste parce que c'est le jour où il faut le faire, devant les autres.
C'est la visite imposée à la vieille grand mère malade et ennuyeuse, mais en mieux : maintenant, plus besoin de s'éterniser, clic-clac, c'est immortalisé, à l'année prochaine, mémé ! Elle ne s'en plaindra plus maintenant... Le petit tour pour voir le père qu'elle trouvait si encombrant...
L'amour familial est décidément une notion toute personnelle...
Alors à toi je peux bien le dire.
En ce 1er novembre, encore une fois, je n'irai pas mettre la composition moche sur la tombe de ceux que j'aimais et qui ne sont plus là...
D'ailleurs, je ne vais jamais la voir cette "dernière demeure" où ne reste qu'un tas d'os.
Eux, j'y pense chaque jour, je leur souris, souvent, en esprit, j'ai avec eux les conversations que nous aurions eu s'ils avaient été là. Ils m'accompagnent.
Je ne verserai pas des larmes aux photographes, les miennes sont parfois invisibles, mais bien plus sincères.
Je ne m'exposerai pas à la galerie pour jouer à celle qui a le plus gros chagrin, celle qui est la meilleure, et les plus anciens me le reprocheront peut être.
Mais ce soir, demain, et tous les jours, quand je me regarderai dans le miroir, je pourrai soutenir ce regard car je n'aurai pas de honte à avoir.
Je n'oublie pas...